Les marges décorées de La vie de César

Le manuscrit lillois 823 présente 11 feuillets avec une marge décorée de feuillages, fleurs et grotesques. Les marges décorées accompagnent toutes les grandes miniatures du manuscrit. Aucune n’agrémente les 14 plus petites miniatures qui occupent la taille d’une colonne.

Ces marges comportent des éléments issus de traditions picturales différentes :

– des feuilles d’acanthe stylisées qui forment des guirlandes. Elles sont parfois bicolores ou tricolores.

– des feuillages qui se divisent en tiges, chacune se terminant par une fleur. Un effet de volume est assuré par l’utilisation de deux teintes, l’une claire et l’autre sombre. Un fin trait noir dessine l’axe principal des végétaux. (Ci-dessous le feuillet 15v en entier)

Page de manuscrit enluminée
Ms. Lille 823 feuillet 15v : La première bataille de César

Parfois c’est un fin trait de couleur qui trace la structure des feuilles ou des capitules des fleurs.
Le dessin de ces feuillages ne correspond pas nécessairement à la réalité botanique des fleurs qui les terminent. Tous les feuillages débutent par des feuilles d’acanthe.

– des fleurs qui sont généralement identifiables. Les artistes du Moyen-Âge n’avaient pas le souci du réalisme, néanmoins la plupart des fleurs sont reconnaissables. Il s’agit de fleurs communes adaptées au climat tempéré du Nord de la France.

– une multitude de petites tiges qui remplissent les espaces entre le feuillage volubile et coloré. Tracées à l’encre noire, elles figurent de fines volutes qui sont régulièrement terminées par des cercles noirs remplis à la feuille d’or, symbolisant des boutons de fleurs. Cet élément discret apporte la touche visuelle caractéristique des manuscrits du Moyen Âge et porte le nom de rinceaux. Difficile à prendre en photo, c’est réellement l’or qui donne sa magnificence aux manuscrits, car sa présence donne vie à la page. En effet, quel que soit l’éclairage ambiant, l’or scintille au moindre mouvement du feuillet.

– enfin, bien ancrés au milieu de la marge du bas ou surgissant d’une fleur, apparaissent des figures fantastiques. Dans le manuscrit 823 de Lille, ce sont majoritairement des créatures hybrides, mi-humaines, mi-animales, mais aussi parfois des insectes. Elles sont souvent peintes en grisaille, en correspondance avec les miniatures qu’elles accompagnent. Le contraste entre les couleurs du feuillage et la grisaille des figures fantastique est volontaire car il permet de faire ressortir ou de cacher les créatures des marges.

 La répartition des couleurs des feuilles d’acanthe

Par quel bout prendre le foisonnement de ces marges ? L’examen de tant d’éléments imbriqués paraît illusoire. J’ai donc commencé par observer ces marges comme un ensemble.

J’ai tout d’abord remarqué que les feuilles d’acanthe du feuillet 1 sont roses et bleues, puis qu’au second feuillet à marge décorée (f. 15v), certaines feuilles d’acanthes sont rouges. Sur d’autres feuillets, plus aucune feuille d’acanthe n’est rose (f. 35v), tandis que dans les dernières marges (f. 167), des feuilles d’acanthe vertes apparaissent de plus en plus.

J’ai ensuite pensé à une répétition rythmique ou cumulative des couleurs. Mais c’était trop facile : en examinant avec plus d’attention toutes les marges du Lille 823, j’ai découvert que les couleurs se distribuaient à chaque fois complètement différemment dans les onze feuillets. C’est-à-dire que les couleurs ne se répètent pas suivant un cycle comme par exemple : dans un feuillet sur deux le rose est remplacé par le rouge. Il ne s’agit pas non plus d’ajouter des nouvelles couleurs aux feuilles d’acanthes au fur et à mesure des feuillets, avec une apothéose au dernier feuillet, qui verrait toutes les couleurs existantes déployées comme un bouquet final.

Dans ce manuscrit, les feuilles d’acanthes sont peintes avec seulement quatre couleurs : bleu, rose, rouge et vert. Chacune de ces couleurs est déclinée en une teinte plus sombre, utilisée pour dessiner la structure des feuilles. Un seul effet est utilisé en supplément : la présence de points ou de traits blancs, technique que l’on appelle rehauts. A partir de ces quatre couleurs et du blanc, les enlumineurs de ce manuscrit ont en réalité combiné les couleurs des feuilles d’acanthes de façon à ce que chaque feuillet soit complètement différent des autres.

Afin d’essayer de quantifier les nuances de couleurs, j’ai dressé un tableau pour observer leur répartition.

Dans ce tableau, j’ai utilisé des + et des – pour indiquer les modulations d’apparition des couleurs des feuilles d’acanthes sur un seul feuillet. Cela permet de déterminer assez finement les différences : par exemple, les marges des feuillets 167 et 232v comportent toutes les deux des feuilles bleues, roses, rouges et vertes. Cependant au feuillet 167 c’est le rose qui domine sur la page, tandis que c’est le vert l’on voit le plus au feuillet 232v.

Ainsi chaque marge comporte des couleurs majoritaires mais jamais aucune ne présente les mêmes variations.

Ci-dessous, j’expose un fragment de toutes les marges décorées afin de juger de visu.

A noter qu’au f. 232v apparaissent des feuilles d’acanthe de couleur marron clair.

Extrait de la marge du feuillet 1

Extrait de la marge du feuillet 15v

Extrait de la marge du feuillet 41v

Extrait de la marge du feuillet 47v

Extrait de la marge du feuillet 54v

Extrait de la marge du feuillet 114v

Extrait de la marge du feuillet 167

Extrait de la marge du feuillet 214v

Extrait de la marge du feuillet 230

Extrait de la marge du feuillet 232v

Extrait de la marge du feuillet 35v

Clarisse Muller

La reproduction intégrale du ms. 823 est disponible sur le site de la Bibliothèque Municipale de Lille 

Lien vers les images numérisées du ms. 823 de Lille


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Clarisse Muller (2 février 2023). Les marges décorées de La vie de César. Trésor des bibliothèques municipales. Consulté le 16 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/uxgz


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